Association des Acteurs de Développement (ADEV)

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Journées de la Fille Bamena

Communication sur le thème : Jeunesse et Tradition, quel avenir ?
Sous-thème : Le lien entre jeunesse et tradition.

Introduction

Il est certain qu’à l’heure qu’il est, pour trouver  des jeunes gens qui font totalement foi à la tradition, à ses exigences ou qui se laissent  conduire sous l’égide de celle- ci, c’est  toute une mer à boire. Pour les uns, Il faut absolument  rompre avec la tradition, car elle les enchaîne, elle ne les avance en rien .Ceux-ci prônent donc la table rase. Par ailleurs, d’autres laissent une grande ouverture en faisant parfois référence à la tradition. Ceux-ci, pensent qu’une synthèse harmonieusement réussie avec la tradition peut être source de développement et de bien-être. Pour Arthur LEWIS, la transformation de la tradition africaine est le symptôme d’une crise, d’un effondrement de l’ « institution » traditionnelle. Pour Park, c’est une dynamique d’adaptation et de subsistance face aux différents bouleversements culturels. L’enjeu étant de montrer comment les mutations que l’on observe au sein de la tradition africaine, affectent le mode de vie de la jeunesse, son tissu social et partant son développement. Le problème qui se pose ainsi est celui de la relation qui existe entre jeunesse et tradition : pour quel avenir ? Et surtout celui du rôle joué par cette jeunesse dans le processus de mutations en rapport avec le développement.

I-      Concepts inducteurs :

I-1 Jeunesse : Les conceptions de l'antiquité classique distinguent plusieurs âges de la vie dont la jeunesse symbolise souvent l'innocence. Chez les Grecs l'éphèbe, les Romains ont des termes plus précis : infans désignant l'enfant en bas âge qui ne parle pas. Le petit garçon ou la petite fille de 7 à 17 ans. Du latin juvenis ou joven en langue vernaculaire. La perception de la jeunesse comme âge distinct à la fois des adultes et des enfants n'existe pas au Moyen Age mais existe comme statut social correspond au jeune non marié. L'individu passe directement de l'enfance à l'âge adulte, Le roi NJOYA est considéré comme jeune quand il succède à son père. Cette perception se trouve aussi dans les expressions françaises pour designer l’immaturité. Soit l’existence récente d’un objet ou d’une chose, soit une couche sociale nantie (jeunesse dorée) ou encore un état affectif ou un regain de vitalité amoureuse (depuis que je l’ai connu, c’est pour moi une seconde jeunesse). D’après le Dictionnaire Larousse (2006) la jeunesse est perçue comme la période de la vie humaine comprise entre l’enfance et la maturité (l’âge adulte) se caractérisant par des élans de liberté, de prise de risque et de l’envie de changer le monde à sa manière.

Pour le sociologue P. Bourdieu, c’est un état d’esprit, une distinction sociale. Il s’avère que déterminer biologiquement la tranche d’âge relative à la jeunesse serait arbitraire et prétentieux toutefois, «  la frontière entre la jeunesse et la vieillesse est dans toutes les sociétés un enjeu de lutte, de division de pouvoir » ayant pour conséquence le conflit intergénérationnel.

I-2 TRADITION : Etymologiquement, Ce concept vient du latin « traditio » c’est-à-dire « Livrer » ; « mettre en la possession de » ; « Céder ». La tradition désigne par-là, la transmission de doctrines, de légendes, de coutumes sur une longue période. C’est une manière d’agir, de penser, de sentir, de vivre transmise de génération en génération. Pour M. Grawitz, la tradition est l’ensemble, des valeurs, des coutumes conservés et transmis. Elle incarne une vie qui comprend à la fois les sentiments, les pensées, les croyances, les aspirations et le comportement bref : la culture. Même si ce concept de tradition est dynamique, il est à noter qu’il a été utilisé dans le contexte africain pour désigner les cultures négro africaines dans une logique de les stigmatiser, de les étiqueter et de les inférioriser. Face aux formes multiples, des cultures africaines diverses et complexes d’organisation sociopolitique, Le colon inventa les concepts « tradition », « chefferie traditionnelle », « chef traditionnel » dans un effort d’uniformiser une réalité dont la complexité lui échappait.

N.B : Tout au long de cet exposé nous emploierons les concepts « culture ou civilisation »au lieu de tradition. De « Roi » au lieu de  « Chef traditionnel », de « Royaume » pour « chefferie traditionnelle ».

Dès lors, il est opportun à présent d’analyser la relation qui existerait entre Culture et Jeunesse négro africaine.

II-  De LA Transmission à L’Appropriation de la Culture par les Jeunes.

II-1   Transmission des éléments socioculturels

                Les éléments culturels propres à une société tels que le langage, les valeurs et normes, les rôles et statuts sociaux ne sont pas innés. Ils sont transmis par le groupe aux individus dès leur naissance. Ce processus de socialisation particulièrement intense dans les premières années de la vie se prolonge tout au long de l’existence. Dans la société négro africaine, les parents, les grands-parents, les oncles ou tantes maternels ou paternels, le lignage, le clan, l’ethnie et la communauté sont autant d’éléments en charge de la socialisation de l’enfant. Certains instruments tels que les sociétés sécrètes, les castes, les grandes expéditions de guerre, de pèche et de chasse participent aussi de l’éducation du jeune enfant pour TABUWE Michaël « la caste est une école négro africaine qui communique les interdits et les permis de l’ethnie et les maitres de la caste sont chargés d’expliquer et de transmettre les textes rituels aux jeunes ». C’est ainsi que celui-ci reçoit un nom suivant son sexe qui est d’ailleurs à l’origine de son statut et de son rôle social. P. Bourdieu parle de ‘’La biologisation du sociale et de la socialisation du biologique’’ avec pour finalité de rattacher l’enfant à la communauté, de perpétuer et de pérenniser la communauté mais aussi, de faire vivre les ancètres à travers la transmission de certains codes comme : La langue, le nom, la solidarité, l’hospitalité, la convivialité, le respect… sont autant des valeurs transmises ce qui fait dire au Sociologue J. Marc ELA qu’ « attribuer un nom à un enfant, c’est procéder à la perpétuation symbolique des morts ».

 

II-2           Valeurs culturelles transmises : Appropriation ou Refus ?

                  L’appropriation des valeurs culturelles marque l’intégration de l’individu à son groupe ethnique ; c’est à partir d’elle que les jeunes s’identifient en tant que membres du groupe et forgent ainsi leurs personnalités de base. Ces valeurs, une fois assimilées par le jeune, sont génératrices des conduites, des comportements  propre à la communauté.

Toutefois, la mondialisation, la modernisation et l’urbanisation galopantes, associées à l’influence des medias (Emissions télévisées, radiodiffusées,), de l’école, des nouvelles technologies de l’information et de la communication (Téléphone, Internet ,blog, twitter, Facebook, Yahoo…,) ayant succédé à la colonisation proposent des modèles culturels différents aux jeunes et mettent en branle la tradition fruit du néocolonialisme régnant ; ce qui impacte les manières de « penser, de sentir et d’agir » de cette catégorie sociale. L’exposition des jeunes aux medias constitue des vecteurs des idéaux, des valeurs et mode de vie étrangers (Liberté, créativité, liberté d’expression,…) ; c’est ce qui explique la tendance de ceux-ci à rejeter ou mieux à abandonner leurs modèles traditionnels pour imiter ou adopter ces valeurs culturelles externes. Cette jonction de culture exprime une crise de mœurs et la recherche d’une nouvelle identité culturelle.

III-                      CONSEQUENCES ET PERSPECTITVES

                       Les conséquences directes résultantes de cette double appropriation culturelle sont la perte des références culturelles ancestrales, le façonnage des individus et d’une culture hybride et ceci dans divers contexte : Urbain et Rural.

En contexte Urbain, on relève l’ascendance de la culture euro-centriste au détriment de la culture négro africaine entrainant ipso facto des individus réfractaires aux cultures africaines dont la seule évocation suscite en eux une attitude de répugnance , de stigmatisation, d’étiquetage. Au niveau de la communication on note l’adoption des langues occidentales et la promotion de celles-ci par les ménages, les jeunes citadins. Cet abandon de la langue locale au profit des autres langues a pour conséquence inéluctable la naissance des nouvelles langues argotiques de communication telles que : « Camfranglais », « le Pidgin », qui ne sont qu’un mélange des langues locales (Duala,Beti, Bamoun, Bamena …) aux langues occidentales (Français, Anglais, Espagnol…) et des dialectes. Sur le plan vestimentaire c’est un refus notoire des tenues coutumiers africains. Les modèles des tenues sont ceux véhiculés par les médias. De même sur le plan alimentaire, tout jeune qui s’alimente aux délicieux, appétissants, exquis et succulents mets africains est vu avec dédain, méfiance et mépris par ses paires puisque pour ces-derniers seuls les mets occidentaux constituent aujourd’hui la seule preuve de citadinité, de jeune émancipé, civilisé voir développé car mangé le Hamburger, la pizza, le Camembert… est une preuve de civilité.

Si tant il est vrai que la ville est le centre d’où par les informations vers les zones péri urbaines, il s’avère de facto que les jeunes ruraux ne sont pas épargnés par l’influence de la métropole via les jeunes citadins qui sont des exemples pour les jeunes des « villages ». Dans ce milieu ou l’agriculture est la principale activité et les jeunes les principales mains d’œuvre, l’abandon des cultures est source des nombreuses crises telles que : La pauvreté (La mal nutrition, La santé précaire...), le conflit de génération, La perte des richesses culturelles car il y a plus les jeunes à qui transmettre les rituels, la naissance des maux publics mondiaux (les enfants de la rue, le trafic des drogues et d’armes, la piraterie, le blanchiment d’argent, la prostitution…)  conséquence de l’exode rural.

De ce qui précède, un regain d’intérêt pour la culture africaine est gage de développement. Et, un développement suivant la conception, la vision des africains et s’enracinant dans leur culture servant désormais comme tremplin de développement. Au détriment du paradigme développementaliste développé par Harry Gilbert RIST pour qui le développement est compris comme l’ « avancée scientifique » et « progrès industriel au service de l’amélioration et de la croissance des régions sous-développées. » ou des approches économico-financière pour qui le développement repose sur l’hypothèse que « les investissements, le financement et l’économie de marché sont les moteurs de la croissance économique. »

Se développer implique aussi l’acceptation de soi mieux, la promotion de son identité, l’esprit d’affranchissement comme le souligne d’ailleurs cette définition du développement selon l’UNESCO( 1982 ; 2000) « Le développement est un processus complexe, holistique et multidimensionnel qui va au-delà de la simple croissance économique pour intégrer toutes les dimensions de la vie sociale et toutes les énergies de la communauté dont tous les membres devraient bénéficier des résultats qui en sortent. Le principe qui prévaut alors est que le développement doit être fondé sur la volonté de chaque société et être l’expression de son identité profonde ». Pour cette approche prônant un développement teinté d’identité culturelle, cette culture ne saurait être incolore (monochrome), uniforme, unique. Cela s’observe à travers la société indienne moderne, la société arabe hyperindustrialisée, la société japonaise modernisée, la société chinoise devenue deuxième puissance du monde. Dans tous ces exemples, l’Arabe marocain porte sa djellaba, parle arabe, réalise ses émissions de télévision en ladite langue ; le Japonais YAMAMOTO boit son ‘’saké’’, porte son kimono, donne son patronyme à ses voitures, pratique son judo, sa religion, mange avec ses baguettes, et pourtant, il est membre de la troisième puissance du monde. (Pr. Mbonji Edjenguele)

                                       CONCLUSION

                   Quoique tournée vers la culture occidentale, la jeunesse africaine n’est ni typiquement occidental, ni spécifiquement africain. C’est une jeunesse « nouvelle » porteuse d’une culture hybride. La conséquence est celui d’un développement sans culture qui n’est autre que le développement avec la culture occidentale mais sans les cultures non occidentales, à partir du moment où ces dernières s’avèreraient comme un frein à l’objectif de croissance, à la production de masse, à l’accumulation capitaliste, à la marchandisation, à l’affirmation de l’individu libre et émancipé du poids de la communauté et des traditions. La culture occidentale du développement à tout prix laisse peu de place à l’inter-culturalité, au dialogue des référentiels, à la pluralité des modes de vie, si ces derniers ne servent pas à l’accomplissement du développement. L’Afrique reste donc et demeure toujours mondialisée et non mondialisant donc pour y arriver un appui fondamental sur la culture noire africaine est indispensable.

                                                                                                                                                          Ngoudam Njoya Honoré



16/05/2014

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